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A la rencontre de mon alter ego, mon frère

Cher lecteur, bonjour.

C’est sur cette longue allée qui passait à travers champs et que je connaissais bien, que je le retrouvai. Il était presque exactement comme je l’imaginais. Grand, frêle, il était vêtu d’un simple costume de ville. Il marchait la main droite posée sur une besace vide, l’autre bras ballant, attendant quelque signal qui pourrait le faire entrer en action. Il marchait d’un pas assuré, rapide sans paraître pressé pour autant. De temps à autre il levait la tête, ne quittant décidément pas son air pensif, songeant sans doute à je ne sais quel projet perdu. Cet instant pourrait être totalement banal, mais bien qu’il fût quotidien, le jeune homme semblait vouloir me raconter une histoire, une sorte de beau roman d’aventures du dix-neuvième siècle. Parfois il ralentissait la marche, se retournait, et l’expression légère de nostalgie figée sur son visage semblait laisser derrière lui la fin d’une autre histoire, une histoire mystérieuse, et le début d’une autre encore.

Il s’arrêta, parut hésiter, fit trois pas en arrière et s’engagea dans un sentier longeant le lac du grand domaine que nous avions rejoint ensemble, sans une seule parole. Le grand garçon avisa alors un banc au bord du point d’eau. C’est là qu’il m’adressa la parole pour la première fois, avec un ton détaché.
« Ça te dit de causer ici avec moi ? »
Je faillis lui répondre : « Arrête… C’est plein de feuilles mortes et de moustiques, ici. »
Mais il y avait je ne sais quoi dans son regard qui témoignait d’une profonde amitié et d’une grande compréhension à mon égard. Je ne fus pas ému ; mais cet étrange coup d’œil en disait tant que je fus presque aussitôt convaincu de m’asseoir ici avec lui.

Nous restâmes encore quelques secondes ainsi, assis côte à côte, sentant la douce brise des longues soirées d’août, annonçant, presque suggérant l’approche de la fin d’une grande et longue partie de plaisir, et écoutant attentivement le bruit apaisant du petit lac. Puis, toujours dans ce grand silence qui devenait de plus en plus mystérieux, il sortit de sa sacoche – qui m’avait paru vide un peu plus tôt – un carnet et un crayon, et penché sur sa feuille il se mit à écrire.

C’est alors, et seulement à ce moment-là que je le reconnus, le gamin de mon adolescence, le songe de ma personne et la personne de mon songe, celui qui fut, entre beaucoup de personnages de livres et quelques camarades de classe, mon seul et véritable confident et ami. Et mes retrouvailles avec cet être fantastique, extraordinaire, merveilleux, se présentaient à moi comme une invitation à tourner la page, à me lancer dans une nouvelle vie dont je profiterai pleinement chaque instant…