Mon splendide voyage en Grèce

au pays des olives, des chèvres et des sandales ailées

Une odyssée temporelle

Ce soir, arrivée au sanctuaire d'Asclépios, à Épidaure, pour nous, hellénistes. Ayant rencontré quelques soucis de réservation à l'hôtel, nous avons dû promptement décider de camper directement sur le site.

A onze heures et demie, il fait nuit noire. Tout est calme. Mon petit monde sommeille. Je pense un instant à nos ancêtres, aux athlètes d'Olympie aux membres musclés, aux démocrates en toge, aux démons mythologiques, aux héros demi-dieux, ou pas demi, ou pas dieux, ou pas héros.

Je m'arrête sur une image de la Pythie, celle qui transmettait les oracles divins, qui prédisait les victoires et les défaites, qui communiquaient aux hommes les desseins de l'Olympe. Pauvres femmes ! comme elles devaient être malmenées pour demeurer presque en permanence dans un état de transe psychologique, pour porter des messages aussi difficiles à révéler ! Un instant, je suspends ma méditation : il me semble que l'une de ces messagères vient de me transmettre un dernier ultimatum de la part des dieux auxquels plus personne ne croit, comme pour me prouver qu'ils existent encore. J'écoute l'Univers, je respire le temps, et, en l'espace d'une seconde, mes visions se brouillent et disparaissent. En leur mémoire, avant que tout s'éteigne, je prends le temps de humer l'odeur de laurier qui se répand dans le sanctuaire. Comme une onde progressive, longitudinale et tridimensionnelle, me dis-je, encore affairé par mon dernier cours de sciences physiques.

L'aurore pointe. Chacun s'éveille, moi y compris. Encore le sable aux yeux, je bâille, pandicule, et, reposé et satisfait, vais à la rencontre de mes congénères. Sous les colonnes, chacun me dit bonjour, poliment. Tout est calme. L'endroit est confortable, finalement. Je me demande même si je ne préférerais pas une autre nuit à même le sol, dans une majestueuse cité grecque, à un bon matelas qui tient chaud, dans un hôtel de luxe.

Peu à peu, je remarque que mes camarades me parlent d'une manière assez floue, leurs propos sont vagues et inexacts. Plus je m'en rends compte, plus l'angoisse monte. Au bout de quelques minutes, une armée de questions colonise mon esprit. Que se passe-t-il ici ? Que m'arrive-t-il ? Et d'abord, est-ce la réalité, ou simplement une mauvaise perception du monde qui m'entoure ?

Plus le temps avance, plus je me rends compte, avec une horreur exponentielle, que la plupart de mes camarades sont dans un état second : ils me parlent, comme s’ils étaient saouls, de choses qui n’ont rien à voir avec le voyage, ni même une conversation habituelle entre lycéens. Peu à peu, les sujets deviennent tout à fait dignes de conversations entre écrivains surréalistes après une soirée bien arrosée.

Je m’étonne, l’angoisse monte, je me demande ce qui se passe. J'ai l'impression de ne comprendre plus rien, que la réalité m'échappe.

Et si c'était la réalité ?

Guillaume Musso ? Qu'est-ce que tu fais là, dans mon sujet d'invention ? Je ne t'ai rien demandé, moi ! Allez, retourne bien sagement dans ton prochain best-seller sur la Côte d'Azur et laisse-moi tranquille, d'accord ?

A ce moment, un flash. Peut-être ne suis-je pas encore tout à fait réveillé. Je me pince. Aïe. Ça fait mal. Je suis donc bel et bien éveillé, malheureusement. J'ai de plus en plus de mal à respirer. Je suffoque. Au moins, une idée bien nette se profile encore dans mon esprit désorienté : je veux m’assurer qu'au moins une petite partie de ma classe n'est pas touchée par ce phénomène, que quelques-uns de mes camarades ont échappé à cette étrange épidémie.

Alors, dans ma détresse, je me mets en quête d'un ultime secours. Je prends le temps de réfléchir. J'ai besoin de quelqu'un de fiable, voire d'infaillible. La première de la classe ? Cette jeune fille, si intelligente et si travailleuse d'ordinaire, me semble une valeur sûre.

Je m'avance vers elle, les genoux tremblants, craignant sa réponse. Je lui pose une question simple :

    - Ça va ? hésité-je.
    - Comment ça, Dorian ? Mais pas du tout ! J'aime les chouettes, moi.

Elle éclate alors d'un rire appuyé, cynique, exagéré à l'outrance. Mon anxiété atteint son paroxysme.

Horrifié, rongé par l'impuissance, je lève les yeux au ciel, et pourtant non croyant d’ordinaire, je crie : « Ô Zeus, mon Seigneur, Dieu des Dieux, je te lance un ultime appel à l’aide ! Sors-moi de ce cauchemar, délivre-moi du mal qui m’entoure et m’oppresse ! »

Et là, en guise de Zeus, je vois un énorme éléphant rose passer au dessus de ma tête.