Une prise sur la vie

Texte original : Romain Gandillet, A Grip on Life (2021)

Samedi, minuit. Je déambulais calmement dans les rues délabrées de la ville, marchant le long d’un canal abandonné. Les feuilles bruissaient doucement dans l’air frais, tel un murmure priant pour être entendu.

Les lampadaires éclairaient faiblement, projetant leurs tristes halos jaunâtres sur ce redoutable trottoir qui avait dû être foulé d’innombrables fois, encore et encore, l’usant, le fatiguant…

D’agréables parfums d’ambre — ce vieil ambre doux, rappelant les jours anciens — entraient dans mes narines et m’apaisaient sur le fond sombre de cette divine soirée d’été.

Je me sentais intouchable. Léger comme l’air. Serein. Ce fichu masque enlevé, je me sentais heureux, les mains dans les poches, en sweat à capuche, un sourire sur mon visage innocent et radieux.

Soudain, j’aperçus une mystérieuse silhouette. Là. Juste sous mes yeux. Cela brillait sinistrement et fixait ma peau. Alors que mon pouls s’accélérait, je réalisai petit à petit que l’ombre pouvait bondir sur moi à tout moment. Je restai figé. Juste là où j’étais. Entre la panique et la peur. Je n’avais pas d’autre choix que de faire demi-tour les jambes à mon cou. La créature commença à m’attaquer directement, de la tête aux épaules. Je commençai à me débattre, — à donner des coups de pied, — sans défense.

« Laisse-moi tranquille ! Chien ! Coquin ! » criai-je.

L’agression devint féroce. Bizarre. Sauvage. Intense. J’avais l’impression que le monstre déchirait mes vêtements à mains nues. Je n’avais aucune chance de m’échapper, car il revenait vers moi en courant dès que je m’éloignais de lui ne serait-ce que de quelques centimètres.

« À l’aide ! » criai-je de toute ma voix stridente en siphonnant tout l’air, le cœur et l’âme qui me restaient dans mes poumons fatigués.

Mon appel à la rescousse fut vain. Personne ne donna le moindre signe de vie. La seule chose que j’aurais finalement tirée de cette situation aurait été l’éventualité de me faire arrêter pour tapage nocturne.

« Hé, toi ! Mais qu’est-ce que tu crois faire ? Je ne viens pas de te dire de me laisser tranquille ? » marmonnai-je, face à face avec la chose, mes yeux dans les siens, en serrant les dents avec une expression que j’espérais menaçante, le regard furieux et les yeux grands ouverts.

Hélas, tous mes cris furent étouffés par l’air épais de la nuit. Un dernier coup de poing me heurta et me cloua au sol froid et rigide. J’avais l’impression que mon crâne fragile allait se fendre en deux. La souffrance allait inévitablement s’ensuivre.

Par chance, je ne ressentis rien.

La mystérieuse créature rit un peu dans ses moustaches. Elle semblait voir ma défaite comme une opportunité pour me voler quelque chose. Mon amulette était là, au fond de ma poche gauche. Cet objet était très précieux à mes yeux, car il avait appartenu à mon grand-père. La perdre aurait été l’une des pires choses qui me soient arrivées. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.

«  H… Hé ! Non, attends ! C’est à moi ! Rends-la-moi ! »

Je me levai d’un bond du macadam frais et me mis à courir après le voleur. La poursuite dut servir de spectacle à tout le voisinage.

Je me suis retrouvé à courir. Je courais le long de la rivière. À un rythme rapide, en fait, aussi vite que mes petites jambes robustes pouvaient me porter. Mon souffle se coupa rapidement.

Le voleur avait beaucoup d’avance sur moi. Je ne pouvais pas le rattraper. Je ne pouvais tout simplement pas.

Puis, pour une raison qui m’échappait, l’ignoble bête prit mon amulette pour un simple déchet et la jeta dans la rivière. Comme si c’était une bonne idée. J’avais perdu l’une des choses les plus précieuses que je connaisse. Pour de vrai, cette fois. Un choix fatidique se présenta à moi. Voudrais-je m’arrêter là ? Ou être courageux, et tenter d’aller chercher cette maudite amulette en bas ?

Je ne pris pas beaucoup de temps à me décider. Les paumes en avant, je me préparai à plonger de haut. Trois, deux, un, c’est parti ! Je plongeai dans l’eau bleu-verdâtre, à l’apparence toxique. Au contact du fluide trouble, je faillis percuter le lit de roches, mais sitôt après je me mis à la recherche de l’artefact perdu. Je savais… Je savais qu’il était quelque part au fond, parmi les minéraux moussus. Le méchant me regardait d’un air mauvais et interrogateur. Je lui répondis d’un regard perplexe.

Après plusieurs longues minutes de recherches infructueuses, mon pied droit buta sur quelque chose de métallique et de plastique. Il était rond au toucher. C’était bien mon amulette. Je l’attrapai et la repêchai par mes orteils. Au moins, ils auront été utiles à quelque chose.

Hourra !

Le méchant dit d’en haut avec force et fierté :

« Alors, tu as trouvé ton stupide joujou, hein ? »

Après avoir roulé des yeux tout en souriant d’un air menaçant, il conclut simplement :

« Bonne nuit, loser. Ne laisse pas les punaises des lits te piquer ! »

L’ombre s’éloigna avec un rire moqueur et gras.

Je me suis souri poliment mais avec fausseté, comme pour concilier le côté sarcastique et cruel de ce qui venait de se passer.

Je me suis retrouvé complètement trempé. De la tête aux pieds. J’étais non seulement couvert de crasse, mais j’avais aussi l’esprit très confus par tous ces événements. Je n’arrivais pas à croire tout ce qui avait dû m’arriver.

Je venais de me rendre compte que, parfois, quoi qu’il arrive, peu importe à quel point on veut quelque chose dans la vie, celle-ci trouve le moyen de nous bousiller. Peut-on toujours être sûr d’avoir… une prise sur la vie ?

Je laissai échapper un court soupir fatigué.

Zut. Rentrons à la maison. Prenons un bain. Toi — derrière les pages — et moi.

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