Bonjour à tous mes fidèles lecteurs !
Je vous livre (enfin !) les quatre chapitres suivants de mon projet actuel de roman ! Je n’ai qu’une seule recommandation à vous faire : faites-en bon usage en respectant le copyright appliqué à ce contenu, valable jusqu’à la date exacte de la publication officielle du roman (vous serez les premiers prévenus 😉 ).
Bonne lecture !
4
Le lendemain, je passai une journée merveilleuse.
La jeune fille qui faisait à présent partie intégrante de ma vie, resta avec moi quasiment toute la journée – bien que nous étions entourés de son groupe de pairs habituel – et me traita comme un ami, un confident, presque un frère. Pour ma part, je me contentais de sa simple compagnie, et de recevoir les compliments qu’elle m’offrait généreusement, en feignant de ne pas remarquer que je rougissais jusqu’aux oreilles, surtout quand elle approchait sa bouche de mon oreille pour me souffler quelque délicieux secret. Je lui retournais presque aussitôt le compliment, non sans embarras et quelques difficultés d’élocution.
Toute la journée, mon cœur battit une chamade endiablée, et mes jambes étaient pareilles à du coton effiloché.
C’est pensif et heureux que je m’apprêtais à quitter le collège, quand la belle Anna Simonin me lança joyeusement :
– Salut Émile, on se revoit demain.
Puis, en s’approchant :
– Nous avons passé une superbe journée tous les deux, ajouta-t-elle. En fait, Émile, tu es vraiment bien comme garçon. Je t’aime bien, tu sais.
C’est à ce moment-là qu’elle accomplit le geste que je n’oublierais jamais par la suite ; elle s’approcha de moi timidement et déposa un court, mais tendre baiser sur ma joue gauche.
Époustouflé, émerveillé, le souffle court, ne comprenant pas moi-même ce qui m’arrivait, je regardais le profil de cette virevoltante jeune fille qui s’éloignait, sautillant innocemment, mais sans doute certaine que quelqu’un l’observait.
Je restai là bêtement, pendant bien des secondes – bien des minutes, en essayant de retrouver et de revivre éternellement ce coin de paradis que la jeune fille de mes pensées venait de m’offrir.
Soudain, frappé par un éclair lumineux qui venait de me ramener aussitôt à la réalité, je me mis à courir pour sortir juste avant la fermeture du portail.
Je ne fis pas mon détour quotidien par la gare ce soir-là.
5
– C’est évident, ça n’a pas pu se passer autrement.
Anna afficha un air soucieux, les sourcils froncés, en continuant sa tirade.
– Il y a beaucoup trop d’indices qui confirment cette thèse, ajouta mon amie. D’abord, le dentifrice retrouvé sur la bouche de la victime. Ensuite, le coup de l’interphone dans la salle à manger.
– Enfin, cette femme battue, complétai-je, rendue éternellement muette par la lumière crue de l’astre du dénouement…
Ma meilleure amie haussa les épaules avec un regard en coin et un sourire qui m’étaient destinés, en raison de ma poésie surréaliste et quelquefois douteuse.
– Il s’agit de ne pas se tromper, rappela-t-elle. C’est une véritable affaire de meurtre, pas une partie de Cluedo.
Le téléphone sonna. Je me précipitai au poste et décrochai le combiné que je mis aussitôt sur écoute.
– Allô !
– C’est Gérard !
– Oui…
– Pouvez-vous m’amener Billy, s’il vous plaît ? J’ai besoin de lui, je crois que je suis sur une piste supplémentaire.
– Je vous l’envoie. Billy ! appelai-je en haut de l’escalier.
« Billy » descendit et vint se poster près de moi, comme s’il avait quelque chose de très important à me dire, mais je ne lui en laissai pas le temps – décision que je regretterais plus tard.
– Billy, va causer avec ton ami Gérard, s’il te plaît. J’ai entendu dire qu’il avait besoin de ton aide.
– D’accord, fit mon interlocuteur en s’éclipsant.
– Bon, Marie… soupirai-je en revenant vers Anna. Où en étions-nous ?
– A la femme muette, répondit ma camarade en me faisant un clin d’œil.
– Ah, oui, fis-je distraitement, l’air de rien.
– Un problème nous résiste encore cependant : nous ne sommes pas sûrs du fait que le meurtrier soit réellement passé de la salle de bains à l’antichambre, et pourtant, cela s’avère nécessaire lorsqu’il s’agit de tuer une personne située dans le couloir, cinq minutes avant le crime. Une fois ce problème résolu, nous pourrons commencer à interroger les suspects.
J’approuvais en hochant la tête.
– C’est tout pour aujourd’hui ! claironna Marion, ma professeure de théâtre.
Anna et moi nous tournâmes vers elle, stoppant toute activité.
– Excusez-moi, mais je n’ai pas vu le temps passer, poursuivit-elle. Nous reprendrons la semaine prochaine, ne vous inquiétez pas. Et n’oubliez pas de ranger la chaise avec le téléphone dans le local du fond. A jeudi prochain ! dit-elle tout en rangeant ses papiers.
Jean – l’acteur dans le rôle de Billy – et Maxence – dans le rôle de Gérard – nous rejoignirent, et nous nous activâmes autour du décor afin de le dissoudre pour une énième fois.
6
« Anna ? »
J’appelai d’une voix timide mon amie, que j’apercevais à quelques mètres de moi malgré un épais brouillard qui troublait ma vue.
« Oui ? »
La jeune fille me répondit avec un sourire franc et amical, comme toujours, mais cette fois plus étrange, comme si nous étions tous les deux sur une autre planète, ou peut-être même dans une autre galaxie, un autre univers.
Ce sourire me fit brusquement rendre compte que nous étions dans une grande pièce entièrement blanche, vide et silencieuse. Nos voix nous parvenaient sous forme d’éclats à peine perceptibles à l’oreille.
Un peu incommodé par ce silence étonnant, mais surtout obnubilé par ce que j’étais sur le point de dire à la jeune fille qui se tenait debout, devant moi, sans ciller, je lui adressai à nouveau la parole, d’une voix sans écho, en rougissant.
– J’aimerais te dire quelque chose… Quelque chose de très important.
– Mmm ?
Anna arbora toujours son mystérieux sourire, tandis que je m’affolais de la neutralité et de l’aspect impassible de la situation. Ces murs, blancs comme la neige, ne renvoyaient aucun écho ; Anna, malgré son interactivité avec moi, semblait figée et éternellement interdite ; je pensais être en effet le seul véritable élément vivant dans cette scène à l’apparence douteuse.
J’avais l’impression de réfléchir à toute vitesse, bien que je ne fisse que des efforts simples et naturels, enfin tout ce qu’il y avait de plus normal.
Anna s’approcha lentement de moi et, contre toute attente, je me sentis légèrement oppressé, comme si je pressentais que la jeune fille qui se présentait devant moi n’était pas la vraie Anna, du moins qu’elle n’était pas celle que je connaissais.
Cependant, mes angoisses s’évanouirent bien vite lorsque je me décidai à lui dire, le cœur battant :
– Écoute, Anna, je t’aime et je sais que dans un certain sens je t’ai toujours aimé, c’est pourquoi j’aimerais t’épouser, que l’on fonde une famille et que l’on vive heureux ensemble.
– Oh oui ! J’aimerais tellement vivre cela avec toi, me répondit-elle dans un soupir, en se logeant dans mon sein.
Attiré par une force irrésistible, j’entourai de mes bras le corps transparent de la grande jeune fille, le souffle coupé et extrêmement heureux. Pourtant, cette impression de mutisme implicite me tenaillait toujours ; pourquoi Anna me répondait-elle comme si le dialogue était écrit à l’avance ? Pourquoi approuvait-elle ma déclaration d’amour comme si je lui avais demandé de jouer à la marelle avec moi ?
J’étais profondément heureux, mais aussi très troublé. Enfin, lorsque je sentis ses lèvres chaudes contre les miennes, je ne pus m’empêcher de lui répondre par un grand sourire, avant de l’embrasser comme je ne l’aurais jamais fait avec une autre jeune fille de mon âge, et le bonheur finit par triompher en mon cœur amoureux.
C’est à la fin de ce délicieux baiser long et langoureux, que je m’évertuai à lui conter ce qu’elle valait à mes yeux, avec toujours ce sentiment indescriptible d’amour et de bonheur.
La tête appuyée sur mon épaule, la jeune fille de mes rêves commença à répéter doucement mon prénom. Charmé par cette initiative, je me mis à lui caresser le dos en signe d’approbation, tout en énonçant son nom en même temps qu’elle me donnait le mien. Mon contact merveilleux avec son dos fragile me fit perdre la tête un instant, avant de me plonger dans un sommeil profond et serein.
A mon réveil, je m’aperçus que mon amante répétait mon prénom de plus en plus fort. Le ton de sa voix semblait rester le même ; seul le volume de sa voix augmentait constamment, me donnant l’impression que tout se refermait sur moi-même. Ce sentiment d’angoisse que j’éprouvais juste avant notre étreinte m’assaillit à nouveau. Je me sentais en proie à un danger imminent, mais imperceptible. J’étais horrifié.
Instinctivement, je repoussai d’un geste brutal l’être que je ne reconnaissais plus. Je projetai « Anna » à au moins mille mètres avec une violence inouïe que je ne m’étais jamais découverte jusqu’alors. Je ne saurais déterminer précisément la distance qui nous séparait à la fin de mon accès de colère ; je la projetai si fort qu’elle disparut dans le lointain.
Malgré tout cela, la voix poursuivait son étrange augmentation de volume, comme si tous mes efforts ne l’empêcheraient jamais de progresser. Elle devenait peu à peu presque robotisée, Le bruit incessant ne voulait pas s’arrêter, quand soudain, tandis que je restais terrifié et me posais plein de questions, un gigantesque trou noir avala d’un coup toute la pièce qui me paraissait pourtant sans fin, ainsi que son maigre contenu. J’étais en train de me demander si j’avais moi-même été englouti par le trou noir quand je me retrouvai par je ne sais quel procédé dans mon lit, tout en sueur, avant même d’avoir compris ce qui m’était arrivé. D’une voix étouffée par la cloison qui séparait ma chambre de la salle à manger, ma mère m’appelait :
« Émile ! Émile !? Lève-toi !!! »
A ce moment précis, mes idées étaient – je dois le dire – fort peu claires. Je pris presque une minute entière pour réaliser que ce n’était qu’un rêve, plus de temps pour m’en convaincre, et plus de temps encore pour m’en persuader. Ce songe me trotta dans la tête toute la journée, et même la matinée de celle qui suivit.
7
Le lendemain, à six heures précises, je me levai, m’habillai et pris mon petit-déjeuner en vitesse, bien que la nuit continue de planer sur la ville. J’attrapai mon sac, embrassai mes parents à la volée, et quitte l’appartement en trombe. Je savais exactement ce que j’envisageais de faire ce jour-là.
J’allais déclarer mes sentiments à Anna.
J’attendais ce jour depuis si longtemps… Depuis la rentrée, je pense. Depuis le jour où je sus vraiment qui elle était : une jeune fille belle, gentille, intelligente, mûre et ouverte d’esprit, et enfin si souriante… Je n’avais jamais croisé plus charmante adolescente qu’elle à ce stade de ma vie, et je crus même qu’elle serait la seule.
Non… j’en étais sûr.
Le soleil venait à peine de se lever lorsque j’arrivai au collège, comme tous les matins. Un avion passa au-dessus des bâtiments tandis que je traversais la cour, comme tous les matins. Quand je pensais que ce jour si banal allait changer ma vie…
Le cours de mathématiques me parut interminable, bien que je fus fort intéressé par la démonstration géométrique du théorème de Pythagore. D’habitude, j’aimais les maths, et je ne m’en lassais jamais. Mais aujourd’hui était un jour différent.
Enfin, la cloche sonna l’heure de la récréation. Je rangeai mes affaires tranquillement, mais à un rythme régulier et suffisamment rapide – pourvu que je sorte en même temps qu’Anna, afin de pouvoir l’aborder en toute humilité.
J’étais près de la porte. Soudain la Belle surgit de l’autre côté.
Je ne perdis pas une seconde. Je lui glissai à l’oreille :
– Anna, euh…
– Oui ?
– J’aimerais te dire quelque chose…quelque chose de très important.
La douce jeune fille s’arrêta un instant, légèrement intriguée. Elle ne savait pas encore que je risquais peut-être de bouleverser sa vie d’un moment à l’autre.
J’inspirai profondément et lâchai en essayant de paraître le plus décontracté possible :
– Voilà, Anna, ça fait des mois que j’aimerais te dire que…
Ma voix se figea. Je tentai un dernier effort.
– Je t’aime. Je veux dire… Je suis…très amoureux de toi.
Pendant une fraction de seconde, j’eus l’impression que ces paroles ne venaient pas de moi. Mon cœur battait si fort. Trop fort. Tout tournait autour de moi. J’attendais avidement sa réponse, tel un être vulnérable et fragile.
Nous étions dans la cour à cet instant.
Anna pencha d’abord la tête sur le côté, me fixant d’un regard quasi indescriptible, mêlé d’étonnement, de surprise et d’amitié. Puis elle devint tout à coup rouge comme une tomate. Ses joues s’enflammèrent. Elle plaqua sa main sur sa bouche, sans doute pour dissimuler un petit cri de surprise.
Un instant, je crus qu’elle se préparait mentalement à me sauter au cou en me répondant qu’elle aussi elle m’aimait, de tout son cœur, plus que je ne pouvais l’imaginer. Mais elle reste là, profondément troublée.
Elle me répondit d’une tendre petite voix :
« Excuse-moi de te dire ça, Émile, mais…je ne partage pas tes sentiments, tu sais… Enfin, pas vraiment… »
Je reçus cette déclaration comme un coup de poignard en plein cœur. Anna, mon amie de toujours, ne m’aimait donc pas ? Je l’avais tellement cru pourtant !
Je restai silencieux en la dévisageant d’un air interdit. Elle continua d’une voix tremblotante et mal assurée : « Je sais que nous sommes amis, mais… » Puis, fronçant les sourcils : « Je comprends. Tu as pris notre relation trop au sérieux, n’est-ce pas ? Je suis désolée, je n’aurais pas dû t’embrasser l’autre jour… »
Anna finit par se taire définitivement. Elle aussi paraissait mal à l’aise.
Des larmes d’enfant me montèrent brusquement aux yeux. J’avais la gorge sèche, et je sentais progressivement que je ne pourrais rester debout plus longtemps. Je manquai m’effondrer, mais des bras vigoureux et délicats me sauvèrent de la chute.
Il s’agissait des bras d’Anna.
Éperdument ému, j’éclatai en sanglots.
8
– Marie ?
Anna se tourna vers moi. J’étais dans un coin de la salle, adossé au mur. Tous les autres étaient partis, un profond silence régnait dans la pièce. Un vieux projecteur poussiéreux, usé mais tenace, m’éclairait d’en haut. Tout le reste de la salle était plongé dans l’obscurité. En me rejoignant, la jeune fille entra dans un bain de lumière artificielle.
– Je suis ravi d’avoir, une fois de plus, travaillé avec toi sur une enquête aussi passionnante, lui déclarai-je en lui tenant tendrement les mains.
La demoiselle sourit timidement. Elle serra plus fort mes mains, comme si je devais ressentir dans ma chair ses doigts fins.
Nous restâmes un moment ainsi. Je n’osais reprendre la parole avant qu’elle ne me l’eût accordée. Après une dizaine de secondes, Anna releva la tête et la pencha légèrement sur le côté, en affichant un petit air perplexe. Son regard voulait dire quelque chose comme « Moi aussi, mais où veux-tu en venir ? » Ainsi fus-je convaincu de continuer. Je lâchai péniblement :
– Tu es sûre que c’est vraiment fini… entre nous, je veux dire… ?
La demoiselle vérifia que personne ne nous écoutait. Puis, un peu gênée, elle s’écarta un peu de moi, m’examina des pieds à la tête, les sourcils froncés, et tenta de me faire revenir à la raison :
– Voyons, Paul, bien sûr que non ! Nous restons collègues, nous travaillons ensemble, et moi aussi, je suis heureuse de travailler à tes côtés.
Elle ajouta avec un sourire amusé :
– Tu auras toujours ta bonne vieille Marie pour t’aider à résoudre les enquêtes les plus difficiles !
Largement convaincu, mais très peu persuadé par ses paroles, je souris à demi, tête basse, et congédiai ma « collègue » d’un geste. Soudain, une crise d’euphorie me prit, et je relevai la tête, le regard vague, et en souriant jusqu’aux oreilles cette fois. Je balayai la pièce noire et vide du regard, et bien qu’à moitié ébloui par la lumière du projecteur, d’un seul coup, tout s’envola. L’horizon s’étalait devant moi comme un avenir que l’on oserait enfin atteindre avec succès.
J’étais déjà en train de rêver lorsque le rideau se ferma, illustre séparation de l’imaginaire et du néant réaliste.