Archives par mot-clé : exercices de style

Tu as le style ? Moi j’ai le style !

Bonjour !

On est le 22/2/2022 (presque) et il est 22 h 22 min 22 s (à peu près)

Au début de l’année, j’ai écrit quelques exercices de style reprenant le scénario de Raymond Queneau (cf. son livre culte et inclassable, Exercices de style).

Il y a peu, cette même activité était au programme du cercle d’écriture de mon lycée, mais avec une autre histoire de départ. J’en ai donc écrit une deuxième série.

Comme d’habitude, je place ces textes sous licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 4.0.

Bonne lecture !

Scénario de R. Queneau

Publicitaire

Imaginez-vous une minute dans la situation suivante. Il est midi, l’air est brûlant, et vous devez rentrer chez vous après cinq heures de labeur harassant. La seule perspective de marcher pendant une demi-heure sous le soleil écrasant vous exténue déjà.

Avez-vous pensé à utiliser notre autobus S ? Ce véhicule à la pointe de la technologie moderne vous permet, surtout quand il est bondé, d’y rencontrer un magnifique jeune homme digne d’un chef-d’œuvre du maniérisme, au cou allongé et doté d’une tresse dernière génération spécialement confectionnée pour remplacer le ruban traditionnellement noué autour de son chapeau. Il est toujours possible pour lui d’y trouver une place assise libre, même si un autre voyageur lui marche sur les pieds.

Plus tard, en guise de récompense pour votre dure journée, notre même autobus S vous permettra d’avoir le plaisir de revoir ce jeune homme devant la Gare Saint-Lazare en très bonne compagnie. 21 % des Parisiens sont déjà séduits. Et vous ?

Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière. www.mangerbouger.fr

Nostalgique

À Alain-Fournier.

Ah ! — qu’il était bon le temps où sous le zénith je me plongeais dans la masse de voyageurs de l’autobus S — qui n’est désormais plus en service — hélas ! — pour rencontrer un jeune homme — le plus grand événement de ma journée — au long cou et au galurin tressé — je m’en souviens encore ! — Soudain il interpellait un homme — « Vous me marchez sur les pieds, monsieur » — oh ! sur un ton à n’y pas revenir ! — L’autre s’irritait — j’aurais fait de même — mais notre homme trouvait une place libre et s’y asseyait — et ce tous les jours…

Ô doux souvenirs ! — ô glorieuse vie perdue pour jamais dans les abîmes du Passé !

Je me souviens d’une autre chose encore — deux heures plus tard environ je le revoyais devant la gare du Nord — ou devant la gare Saint-Lazare — il discutait avec un ami qui lui donnait des conseils vestimentaires de l’autre temps…

Haïku revisité

le bus est bondé
un jeune homme a le cou long
on lui marche sur les pieds
pas là ce bouton

2020

Il est dix-sept heures quarante. Je me dépêche de rentrer chez moi avant le couvre-feu. L’autobus qui arrive à ma station est bondé, mais je n’ai pas le temps de prendre le suivant. Je m’engouffre dedans avec une proximité sociale réprouvée par les autorités depuis le 16 mars, en accord avec le conseil scientifique. J’y remarque un blanc-bec portant une curieuse tresse autour de son masque FF-P2. Tout à coup, il interpelle un homme plus âgé et le réprimande car celui-ci lui a toussé dessus. Mais sans aller plus loin dans son réquisitoire, il part se mettre du gel hydroalcoolique sur les mains et pratique la distanciation physique en s’asseyant sur une place libre.

Deux heures plus tard, je pars promener mon chien sans avoir oublié de signer mon attestation. En passant devant la gare Saint-Lazare, je revois ce blanc-bec en train de discuter sans masque avec un autre blanc-bec, lui non plus non masqué, qui se juge bien placé pour lui donner des conseils d’hygiène. Ce n’est pas mon avis, en tout cas.

Scénario de G. Delgrande

Texte original

Dimanche dernier, juste après le déjeuner et comme il fait beau, je m’attable à la terrasse du café de Flore. Je commande une noisette et je remarque à une table voisine un académicien connu. Il est en grande conservation avec une jolie femme d’un certain âge. Tandis que je les observe et essaie de saisir leur causerie, je suis interrompu par le serveur qui revient. Celui-ci renverse le verre d’eau que j’avais demandé avec mon café. Le serveur s’excuse auprès de moi, ce faisant il m’empêche d’observer le départ de l’académicien et de la dame. J’arrive juste à les voir, bras dessus, bras dessous, disparaître au coin de la rue.

Rétrograde

Et voilà qu’ils disparaissent au coin de la rue. J’arrive juste à les voir, bras dessus bras dessous. Qui ? Bah, l’académicien et la dame, que le serveur m’a empêché d’observer en s’excusant. Il avait renversé le verre d’eau que je voulais avec mon café. En fait, il m’avait interrompu au moment où j’étais en train de les observer et d’essayer de saisir leur causerie, à eux. Ils étaient en effet en grande conversation. C’étaient une jolie femme d’un certain âge et un académicien connu. J’avais remarqué ledit académicien à une table voisine de la mienne d’où j’avais commandé une noisette, après m’être attablé à la terrasse du café (le café de Flore), comme il faisait beau, juste après le déjeuner, dimanche dernier.

Familier

Wesh, j’t’ai pas raconté un truc, frère. L’aut’dimanche, là, j’ai graillé, et après, vu qu’c’était pas un temps à chier sa race, bennn j’suis allé traîner au café d’Flore, là, tu coco, mais si tu coco. Donc là, j’suis dans la place et j’dis : « Roger, une noisette ! » et il y go sans broncher. Du coup, j’attends un peu, tu vois. Mais là, v’là-t-i pas qu’j’remarque qu’en fait, juste à côté d’oim, y a un gars connu, qui fait des trucs sérieux et intelligents, genre académicien ou quoi, mais si tu coco, c’est l’intello qui passe tout le temps à la télé, là. D’ailleurs i m’saoule ce mec. Bref, donc j’le vois en train d’pénaver tranquille avec une nana (assez bonne sa mère entre nous, mais un peu old, voire has been). Tu l’verrais, limite i lui pelote les nibards à la meuf. Et donc, là, j’essaie d’capter c’qu’i disent. Sauf que ce con d’serveur, au lieu d’me servir bien tranquillement, i s’débrouille pour fout’ par terre mon verre d’eau qu’i m’apportait. J’te dis pas le binz. En plus, en s’excusant i m’bouche la vue tu vois. Bref, c’était graaaave relou, j’avais un point d’vue et i vient tout niquer ce con. Enfin il hors de ma vue, mais là j’ai juste eu le temps d’les voir partir. Moi j’aurais bien voulu savoir c’qu’i s’parlaient, wesh.

2020

Dimanche dernier, juste après le déjeuner et comme il fait beau, j’arrive juste à voir un académicien connu et une jolie femme d’un certain âge, bras dessus bras dessous, disparaître au coin de la rue.